vendredi, novembre 17, 2006

Je spin, tu spins, ...

Les relationnistes ont compris depuis longtemps qu’à force de répéter le même message, il est possible de transformer un mensonge en vérité. Ils utilisent cette technique pour influencer non seulement vos habitudes de consommation, mais aussi votre perception du monde et vos convictions. Lorsque les gouvernements et les firmes de relation publique s’unissent, il n’est pas toujours facile de différencier le vrai du faux, particulièrement en temps de guerre.

(QC) — Automne 1990, les bulletins d’informations en Amérique du Nord diffusent le témoignage touchant d’une jeune koweïtienne, témoin d’atrocités commises dans son pays. En larme, Nayirah 15 ans, raconte au Congrès américain comment des soldats irakiens ont pénétré dans les hôpitaux de la région pour y vider tous les incubateurs. Au total, 312 bébés naissants auraient été tués par les militaires de Saddam Hussein.

Il n’en faut pas plus pour que la population américaine, jusqu’ici indifférente à la guerre en Irak, se mobilise derrière son gouvernement pour une intervention musclée pour libérer le Koweït de l’invasion irakienne. Dans ses discours, le président George Bush père fera six fois référence au témoignage de la jeune Nayirah, et le sénat plus de onze fois dans ses discussions sur l’éventualité d’une intervention. L’histoire sera largement diffusée à travers le pays, démontrant sans équivoque la terreur imposée par un Saddam Hussein sanguinaire.

Deux jours plus tard, même les plus récalcitrants à une intervention de l’armée américaine exigeront que cessent ces atrocités. Le Sénat votera la résolution pour l’opération « Desert Storm » à 52 voix pour contre 47, soit une marge de seulement cinq sénateurs, ce qui laisse croire que le témoignage de Nayirah a pu avoir une importante influence dans l’intervention américaine.

Jean Leloup n’avait pas tort en déclarant dans sa chanson sur la guerre en Irak 1990 : « En 1990, c’est l’heure des communications. » Après enquête, on découvrira avec surprise un grand nombre d’incubateurs intacts dans les hôpitaux koweïtiens. L’événement n’aura été qu’une importante production d’une firme de relation publique Hill and Knowlton, payée dix millions de dollars pour vendre la guerre aux Américains.

Comment est-ce possible que des relationnistes aient réussi à berner de telle sorte l’ensemble des médias chargés de fournir une information juste au public, voire des groupes de défense des droits de l’homme tels Human Rigth Watch et Amnesty International, qui ont emboîté le pas et validé les chiffres avancés par cette histoire?

La firme détenait un mandat clair : démontrer que Saddam Hussein était un fou. Dans ce dessein, elle a évalué à l’aide de groupes de discussion ce qui était le plus susceptible de toucher une corde sensible chez les Américains. Qui resterait indifférent devant le massacre de bébés naissants inoffensifs?

Nayirah, qui était en fait la fille de l’ambassadeur koweïtien aux États-Unis et qui n’avait pas mis les pieds au Koweït depuis plus de dix ans, ainsi que les témoins cités dans les multiples reportages sur les massacres au Koweït, avaient au préalable suivi un entraînement à l’agence Hill and Knowlton.

L’Ambassadeur Nassir Al Sabah, l’un des congressistes responsables de la commission sur les droits humains John Edward Porter et le lobby Citizen for a free Koweït ont tous des liens avec la firme de relation publique chargée de renverser l’opinion publique pour l’envoi de soldats américains.

Selon Pierre-Jean Luizard, un spécialiste occidental du Moyen-Orient, les États-Unis avaient même donné leur accord à l’invasion irakienne du Koweït. À l’approche d’une élection présidentielle, dix mois plus tard, le président Bush croyait qu’une guerre stimulerait l’économie américaine.

Tous les groupes des droits de l’homme finiront par démentir l’histoire des incubateurs à la suite d’enquêtes sur le terrain. En tout, l’opération Desert Storm fera plus de 200 000 morts dans la région.

Les journalistes ont-ils failli à leur devoir? Pourquoi n’ont-ils pas répondu à l’appel de Saddam Hussein de se rendre sur place constater les dégâts?

Dans un contexte où les médias cherchent à augmenter ses profits par une hausse d’auditoire, qui refuserait une bonne histoire comme celle de Nayirah? L’événement des incubateurs contenait tous les éléments narratifs nécessaires pour susciter l’intérêt : un méchant — Saddam Hussein —, une pauvre enfant éplorée – Nayirah —, du sang — 312 bébés tués — et une possibilité de dénouement heureux — la libération du peuple koweïtien par une intervention américaine.

Les médias n’avaient pas les moyens ni la capacité de vérifier sur le terrain la véracité des témoignages. Ils n’en avaient pas non plus l’intention, le témoignage de Nayirah n’était qu’une preuve de plus dans la longue liste d’atrocités commises par Saddam Hussein au fil des ans et largement vérifiée, comme l’assassinat systématique de tout dissident à son régime.

Il aurait par contre été facile de vérifier qui était derrière cette campagne publicitaire pour la guerre en Irak. Selon les dires de l’ambassadeur koweïtien, les congressistes connaissaient l’identité de la jeune Nayirah. Comment se fait-il que les journalistes n’ont jamais souligné ses liens familiaux? Ont-ils été paresseux devant le potentiel de cette histoire?

Le pire, c’est que la profession ne semble pas avoir appris de ses erreurs. Combien de fois les journalistes ont-ils diffusé les images des deux tours s’effondrant à New York, ce qui a permis l’intervention en Afghanistan? Pourquoi le New York Times et le Washington Post ont-ils dû faire leur mea-culpa après avoir découvert que les allégations d’armes de destruction massive en Irak était fausse? Malheureusement, tant que le contexte de production de l’information, rapide et payante, ne changera pas, les relationnistes pourront continuer à dominer le paysage médiatique et par le fait même, les lobbys qui ont les moyens de les payer à le faire.
-30-

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Bonjour,
je trouve votre article très intéressant. D'autant plus qu'on a travailler sur un vidéo sur les relations publiques en cours. J'aimerais vous posez une question, pensez vous qu'avec internet et le fait que désormais n'importe qui peut écrire et diffuser l'information l'influence de ces groupes de pressions puissent diminuer?
Merci et bonne continuation.