vendredi, novembre 17, 2006

Information en direct – terreau de dérapage médiatique.

L’information circule à une telle vitesse aujourd’hui que sa diffusion précède parfois le journaliste. Par manque de financement pour l’envoi de correspondant aux quatre coins de la planète, les médias font souvent usage des dépêches d’agence comme source d’information internationale. Qu’arrive-t-il lorsque l’agence se fait berner et que l’information se retrouve partout à travers le monde? Regard sur un cas célèbre de dérapage médiatique : Timisoara.

(QC) – 1989 : année de la chute radicale du rideau de fer dans presque toute l’Europe de l’Est. C’est à Timisoara que commencera l’insurrection populaire roumaine contre le pouvoir socialiste de Nicolae Ceausescu, dictateur à la tête du pays depuis 15 ans. C’est aussi à la ville de Timisoara qu’on associera le plus bel exemple de manipulation des médias.

Entre le 16 et le 22 décembre, plusieurs émeutes font rage dans la ville et dans le nord-est du pays alors que la minorité hongroise de la Roumanie se soulève. Le 17 décembre, une agence de presse hongroise sort une première dépêche sur la situation dans la ville, faisant état d’une centaine de morts. Le 19, ces chiffres sont gonflés, à la télévision on parle maintenant de 400 morts, voire de milliers de victimes de la Securitate, la police officielle de la Roumanie.

À la chute du dictateur le 22 décembre, la nouvelle de la découverte d’un charnier de 4630 cadavres par un témoin hongrois est reprise par l’agence France Presse et fait le tour du monde. Dès le 23 décembre, les bulletins de nouvelles parlent d’un charnier, d’une fosse commune, même d’un génocide de plus de 10 000 morts dans les rues de la ville martyre. Ils martèlent le chiffre de 4630 morts sans jamais nommer de sources.

Pour donner l’ampleur du massacre, des images de 19 cadavres sont diffusées, dont celle d’un enfant qui repose sur le ventre de sa mère. Ils auraient tous été extraits d’une fausse commune découverte dans la ville, fusillés par la Securitate; un véritable carnage dans cette ville de 350 000 habitants.

En réalité, les émeutes n’ont fait que 89 victimes dans la ville de Timisoara et 1033 morts dans toute la Roumanie selon les bilans officiels. Les images provenant de la fosse commune étaient en fait des images de corps déterrés d’un cimetière de la ville, situé derrière l’hôpital.


Comment se fait-il que les chiffres ont ainsi pu êtres gonflés à ce point sans jamais être vérifiés? D’un point de vue politique, la Hongrie, pays de provenance de la dépêche initiale, convoitait une partie du nord-est de la Roumanie. Elle avait tout à gagner de la chute de Ceausescu. En gonflant les chiffres ainsi, elle créait aux yeux du monde entier, par la reprise des articles de son agence de presse par AFP, l’image d’un dictateur sanguinaire qui devait tomber à tout prix.

Les dissidents du régime Ceausescu ont fortement utilisé la télévision nationale pour communiquer avec la population. Les images de charniers, reprises dans le monde entier, étaient surtout des images de propagande pour s’allier le reste de la population qui pourrait encore soutenir le dictateur déchu.

Notre perception du monde communiste a aussi beaucoup joué dans la façon dont nous avons mis en scène Timisoara. Depuis la chute du mur de Berlin en novembre, il ne restait que la Roumanie et l’Albanie comme château fort communiste. Jusqu’ici, tout s’était passé dans l’allégresse. La population occidentale, qui avait grandi avec l’image du communisme comme pire ennemi, attendait ces images de bain de sang. 10 000 morts, c’était bel et bien la preuve que les communistes étaient des tortionnaires. Le fait que ces informations soient reprises par l’agence France Presse a accentué leur crédibilité.

On découvrira même plus tard que les images du procès de Ceausescu et sa femme ont été elles aussi truquées. Toute la portion contrechamp, montrant les accusateurs, a été retirée de la bobine finale qui proviendrait sans doute des dissidents, le Front de solidarité nationale. Elles ont pourtant été largement diffusées sans que personne interroge leur provenance et leur dessein.

L’Occident était aussi très friand d’images de l’est, un monde méconnu jusqu’en 1989. Cet empressement a donné lieu en partie à la diffusion d’information sans enquêtes sur sa source. Enfin, nous pouvions savoir comment ça se passait là-bas. Les dissidents ont habilement utilisé cette carte pour faire passer leur message et gagner la révolution.

Par cette trop grande liberté et faute de connaissances, d’experts sur les aspects sociopolitiques de la région, les médias ont dévoré à grandes dents le potentiel sensationnel de la chute d’un régime dictatorial sans jamais s’arrêter pour réfléchir et questionner ce qu’ils filmaient ou écrivaient.

Il suffit d’ajouter le système de circulation de l’information, les agences de presse pigent dans les médias locaux et les médias locaux de partout dans le monde pigent dans les textes et images offertes par les agences de presse, pour comprendre comment ces informations ont pu se rendre à Montréal, sans jamais être contre vérifiées.

Tant que les entreprises de presse n’auront pas les moyens d’avoir des journalistes sur le terrain, ce genre de dérapage pourra se reproduire. Heureusement, des journaux comme La Presse font de plus en plus l’utilisation de collaboration spéciale et de correspondant pour couvrir les événements de l’actualité internationale.


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