dimanche, février 11, 2007

DES RÉPERCUSSIONS MÊME AU QUÉBEC

Lorsque Daniel Charlebois a acheté le commerce de son père en 1975, il existait quatre détaillants pétroliers à Melocheville, un petit village de 3 000 habitants. Aujourd’hui, seul son garage Esso a survécu à la guerre des prix de l’essence de 1996. Malgré une hausse de 300 % de son achalandage, le commerçant a été contraint pour subsister de transformer son centre de mécanique en dépanneur. Jadis source de profit, l’essence n’est plus qu’un service pour attirer des clients dans son commerce où les pingouins gonflables et les pintes de lait côtoient les litres d’huile à moteur.

Par Evelyne Asselin

(Mtl) — « Vous savez Esso et les autres grandes pétrolières, c’est du pauvre monde, ils font pitié. Ils n’ont fait que quelques milliards de profits l’an dernier », lance avec sarcasme le propriétaire du garage Charlebois.

Le commerce situé aux abords de la route 132 a toujours été affilié à une grande pétrolière. À sa construction en 1955, il portait la bannière McCall-Frontenac, achetée quelques années plus tard par Texaco, puis par Esso en 1991.

« Être avec une compagnie majeure comporte plusieurs avantages. Esso m’apporte surtout une clientèle établie par son réseau de cartes de crédit et un système publicitaire que je ne pourrais me payer en tant qu’indépendant », indique M. Charlebois.

Ces deux phrases sont pourtant les seules marques d’enthousiasme que démontre le propriétaire envers sa maison-mère. Depuis une dizaine d’années, les gains ne sont plus au rendez-vous. La vente d’essence n’apporte qu’un à deux sous de profit du litre, ce qui s’avère insuffisant pour payer les frais d’exploitation.

C’est que les majeures comme Esso et Shell tirent leurs bénéfices du raffinage et non de la distribution. Ils imposent donc des tarifs à la limite des prix plancher fixés par le gouvernement du Québec, selon une loi pour contrer les guerres de prix, fixée en décembre 1996. Ces tarifs permettent aux détaillants de subsister, mais surtout d’attirer un plus grand nombre de consommateurs. Plus il y a d’essence vendue, plus les grandes compagnies font des profits de raffinage.

« Les majeures contrôlent le marché. Même les indépendants doivent s’approvisionner à leurs raffineries. Ça revient toujours à la même situation et les majeures le savent. Nous n’avons aucun contrôle et il est impossible de contourner le système », déplore le commerçant.

Pourtant, selon la directrice de l’Association québécoise des indépendants du pétrole (AQUIP) Sonia Marcotte, il est bel et bien possible de contourner le système des majeures au Québec en s’approvisionnant chez deux importateurs indépendants, Norcan et Olco. Les deux compagnies se ravitaillent par bateau à des raffineries de la mer du Nord et des Caraïbes.

« Sans ces deux importateurs, les raffineries du Québec pourraient imposer 2,5 sous supplémentaires du litre d’essence, soit le coût moyen de transport pour s’approvisionner par camion ailleurs que chez les raffineries de Montréal », explique madame Marcotte.

Mince espoir par contre, puisque Norcan et Olco sont forcés d’exiger des tarifs semblables à ceux des grandes pétrolières. Toutes les transactions des produits raffinés sont liées à la Bourse de New York, réduisant les marges de profit supplémentaire à quelques dixièmes de sou. Cela explique certainement qu’à peine 5 % des détaillants québécois font affaire avec les deux importateurs.

Malgré les doléances de Sonia Marcotte pour un secteur indépendant fort afin contraindre les grandes pétrolières à réduire leurs prix de vente de l’essence raffinée, Daniel Charlebois continuera de faire affaire avec Esso, faute d’alternatives valables.

Avec l’arrivée sur le marché de la vente au détail d’essence de joueurs comme Costco et Couche-Tard, la compétition est de plus en plus féroce au Québec et M. Charlebois croit que seule sa bannière lui permettra d’attirer des clients. Le jeu de l’indépendance est trop risqué.

-30-

PÉTROLE : L’ÉMERGENCE D’UN CONFLIT.

Énergie dominante depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le pétrole est au cœur des relations internationales. Les conséquences de cette industrie vont bien au-delà des actions américaines au Moyen-Orient. À l’heure où la demande augmente et les réserves diminuent, le fragile équilibre de son partage est menacé par l’arrivée de nouveaux joueurs et une recrudescence des pouvoirs étatiques sur les ressources. Portrait de la situation.

Par Evelyne Asselin

(QC) — Alors que la demande pétrolière ne cesse de croître, particulièrement avec l’industrialisation rapide de l’Inde et de la Chine, l’accès à cette matière première non renouvelable s’amenuise. Les statistiques des réserves jusqu’ici annoncées par les pays producteurs sont revues à la baisse, les puits de pétrole se trouvent dans des territoires de plus en plus difficiles d’accès, souvent en haute mer, et les sources pétrolières alternatives comme les sables bitumineux entraînent des coûts de production élevés.

« Nous sommes entrés dans une logique de guerre des ressources partout à travers le monde. L’accès à l’énergie va conditionner de plus en plus les conflits, les guerres, les déstabilisations et les manœuvres géopolitiques », avance Éric Laurent, journaliste et auteur du livre La Face cachée du pétrole (2006).

La dépendance mondiale au pétrole joue déjà un rôle prédominant dans la politique étrangère de plusieurs pays. Au Venezuela par exemple, quatrième exportateur mondial, l’influence d’Hugo Chavez dans la région repose en grande partie sur ses ressources. Pour bâtir son projet d’une Amérique Latine unie sous le modèle bolivarien, indépendante des pressions états-uniennes, le président utilise son or noir comme monnaie d’échange.

Cette stratégie a toutefois connu ses limites au cours de la dernière année. Si la Bolivie et Cuba se sont alignés derrière Chavez, d’autres pays comme la Colombie refusent d’embarquer dans la danse. Dépendant des revenus pétroliers pour financer ses réformes nationales, le Venezuela continue de vendre ses hydrocarbures à des pays opposés à ses politiques populaires, même aux États-Unis.

Mais cette dépendance économique, présente dans l’ensemble des pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), pourrait bien disparaître dans les années à venir. Dans un contexte où la demande excède l’offre, les pays producteurs sont en mesure de négocier des contrats à leur avantage non seulement financier, mais aussi politique.

L’OPEP fut créée en 1960 pour faire monter le prix du baril de pétrole qui oscillait à l’époque autour des cinq dollars américains. Composée du principal joueur de l’industrie, l’Arabie Saoudite, et de 13 autres pays dont le Venezuela, l’Irak, l’Iran, le Soudan et l’Indonésie, elle impose des quotas de production à ses membres qui représentent un peu plus du tiers de la production mondiale de brut. Sans la Russie, la Norvège et le Mexique dans ses rangs, son influence a toujours été limitée.

Contrairement à la croyance populaire, l’OPEP n’a jamais livré de combats contre l’Occident. Ses liens ont toujours été étroits avec l’Agence internationale de l’énergie, une organisation qui regroupe 26 pays consommateurs dont les États-Unis, le Canada, 14 membres de l’Union européenne et le Japon.

Selon Éric Laurent, « les principaux pays producteurs, au premier rang desquels, l’Arabie Saoudite, ont toujours été les plus fermes et fidèles au soutien des économies occidentales. L’Arabie Saoudite a empêché l’OPEP d’avoir une véritable stratégie de réduction des quotas de production pendant de nombreuses années. »

Aujourd’hui, le pouvoir de l’OPEP se renforce. « L’industrie pétrolière classique, les grandes compagnies sont maintenues hors jeu parce qu’elles n’ont plus accès aux gisements pétroliers. Les véritables maîtres du jeu ce sont les compagnies nationales des pays producteurs », explique l’auteur.

Propriétaires des gisements, ils peuvent donc imposer leur décision au marché, ce qui s’avérait plus difficile dans un contexte de propriété privée. Entre 1998 et 2006, le prix du baril de pétrole est passé de 12 dollars américains à 61 dollars américains sous l’influence de l’OPEP, mais aussi de certaines grandes crises qui ont touché la planète comme les attentats du 11 septembre 2001 et la guerre en Irak.

Cette hausse prodigieuse coïncide aussi avec l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chavez au Venezuela, un ardent partisan de la nationalisation des hydrocarbures. En avril 2006, il a déposé une loi obligeant toutes les compagnies privées nationales et étrangères qui oeuvrent au pays de céder au minimum 60 % de leurs parts à la compagnie publique Petroleus de Venezuela S.A. (PDVSA)

« L’OPEP est en train aujourd’hui, pour la première fois de son existence, de prendre la main avec l’apparition de nouveaux membres comme l’Angola [NDLR : admise en décembre 2006] d’une part, mais aussi par une conscience claire et nette qu’ils détiennent les cartes maîtresses », précise le journaliste français.

Stimulés par des besoins financiers pour leurs politiques nationales, les pays influencent donc l’OPEP a imposé des quotas supplémentaires à la production pour faire grimper les coûts du brut. À titre d’exemple, l’Arabie Saoudite nécessite un baril à 20 dollars américains pour pallier ses dépenses, selon Jean-Pierre Favennec dans son article Géopolitique du pétrole au début du XXIe siècle (Commentaire, automne 2002). Depuis 1988, 95 % de l’industrie d’exploitation appartient au roi saoudien, à qui profite directement la hausse des prix du baril.

Nous assistons peu à peu à une « démondialisation » économique de l’industrie pétrolière, à un retour à la primauté des intérêts nationaux. L’État reprend un pouvoir qu’elle avait cédé au cours des années 80 aux grandes corporations. Cette tendance est non seulement présente au sein des pays membres de l’OPEP, mais aussi chez le deuxième producteur mondial, la Russie. Au cours des trois dernières années, le Kremlin a augmenté son contrôle sur la compagnie publique Gazprom de 12 % pour en détenir aujourd’hui un peu plus de la moitié des actions. Pour la Russie, le pétrole représente une carte diplomatique fondamentale et il lui a permis, après la chute radicale du rideau de fer, de reprendre une position influente sur l’échiquier mondial.

« Il suffit d’une grande crise pour que les réflexes nationalistes ou protectionnistes jouent et que le processus de mondialisation se grippe. Nous arriverons à un monde où coexisteront une démondialisation de certains secteurs [NDLR : par exemple le pétrole] et une remondialisation de d’autres. Ce qui évidemment sera tout à fait perturbant pour l’équilibre et le fonctionnement des institutions et pour les analyses géostratégiques et géopolitiques », conclut Éric Laurent.

Après le choc pétrolier de 1973, résultat d’un embargo de l’OPEP contre les pays soutenant Israël, les grands pays consommateurs se sont dotés de stocks de pétrole pour éviter des pénuries. Cette méthode de protection ne sera plus applicable bientôt puisque la demande internationale excède la production. Pour M. Laurent, « on ne risque plus dans les années à venir d’être soumis à des embargos pétroliers. Le problème, c’est surtout d’avoir accès à des sources suffisamment importantes de pétrole pour assurer la consommation de son pays. »

Plusieurs pays, les États-Unis en tête, se sont lancés dans une course frénétique pour assurer le support de sa consommation. Chacun cherche à tirer son épine du jeu à travers une multitude d’ententes bilatérales. Comme dans la plupart des combats économiques, c’est l’argent qui définit les règles et de l’argent, la Chine en possède ce qui vient brouiller les stratégies de plusieurs.

Un joueur de plus en plus dérangeant

Devenue le deuxième plus gros importateur mondial de pétrole en 10 ans, juste derrière les États-Unis, la Chine perturbe l’ordre classique des approvisionnements pétroliers. Pour subvenir à ses besoins énergétiques, dépassant les 100 millions de tonnes de pétrole par jour, elle s’est lancée dans une véritable campagne de séduction des pays exportateurs, même dans des régions traditionnellement réservées aux Occidentaux.

La visite en août 2006 du président Hu Jintao en Amérique latine, une chasse gardée américaine, a mené à plusieurs ententes dont la création d’une compagnie pétrolière conjointe entre la China National Petroleum Corporation (CNPC) et la PDVSA de Caracas. Hugo Chavez a déclaré à l’occasion qu’il souhaitait que le Venezuela devienne le premier exportateur en Chine, ce qui pourrait nuire à l’approvisionnement américain en cas de pénurie.

L’Europe et le Japon s’inquiètent aussi des liens tissés entre la Chine et la Russie. En plus de la création d’un oléoduc transsibérien pour approvisionner la Chine, Moscou a même donné son aval pour une copropriété sino-russe de la compagnie Oudmourtnef.

« Le choc des titans est à venir, mais pour l’instant il n’existe pas. Même si la Chine est une puissance émergente dont l’économie se développe très très rapidement, ça reste un pays encore en devenir par rapport aux États-Unis », précise le journaliste Éric Laurent.

Si les répercussions de la quête énergétique chinoise restent encore à se faire sentir en Occident, la situation est tout autre en Afrique où la Chine investit massivement depuis une décennie. Bien peu de gens se soucient de cette région « abandonnée par les puissances occidentales, notamment européennes », selon l’auteur.

Un point de vue que supporte Arvind Ganesan, directeur du programme Affaires et droits humains de l’ONG Human Right Watch. Dans ce contexte de « démondialisation » où la Chine traite de façon bilatérale avec les gouvernements des pays producteurs, le travail d’institutions internationales comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque Mondiale (BM) est rendu caduc.

« Quand un pays comme l’Angola, réputée pour son gouvernement hautement corrompu, reçoit plus de six milliards de dollars de la Chine sans aucune restriction, pourquoi écouterait-elle les demandes de transparence des institutions internationales », s’interroge Arvind Ganesan.

Malgré une production pétrolière mineure, moins de cinq millions de barils par jour comparativement à plus de 15 millions pour le Moyen-Orient, le pétrole africain possède plusieurs avantages. Ses réserves sont presque intactes dues au sous-développement de l’industrie qui a été délaissée par les grandes compagnies occidentales, les revenues gouvernementales en dépendent largement et il existe un haut potentiel de troc du type aide contre pétrole, technique d’investissement privilégiée par les Chinois.

En échange des ressources africaines, Pékin construit des voies ferrées, fait immigrer des médecins, finance la recherche de nouveaux gisements et la construction d’infrastructure, mais fournit aussi des armes à des gouvernements et à des milices sans tenir compte des répercussions sur la politique nationale des pays avec lesquels elle traite.

Alors que l’Occident se bat depuis des décennies pour établir ses concepts de démocratie, de bonne gouvernance et de respect des droits humains, voilà qu’elle se fait court-circuiter par les investissements chinois et que son influence dans la région fond comme peau de chagrin. L’instabilité évoquée par Éric Laurent est déjà installée en Afrique.

« Dans un pays comme le Soudan [NDLR : au pris avec un important conflit au Darfour] non seulement le gouvernement chinois ne pose aucune exigence en matière de droits humains, mais il résiste aussi aux pressions de la communauté internationale pour des sanctions sur les importations de pétrole et l’imposition d’un embargo. Ce serait à l’encontre de ses intérêts économiques », indique M. Ganesan.

Cette réticence chinoise est à la source des difficultés du Conseil de sécurité de l’ONU à s’entendre sur les mesures à prendre pour stabiliser la situation au Darfour. En vertu de la structure de l’organisation, la Chine possède un droit de veto qu’elle utilise sans retenue pour protéger ses acquis économiques en Afrique.

Pour le responsable chez Human Right Watch, « la Chine doit prendre les responsabilités que lui impose sa position d’influence dans le monde. » Malheureusement, personne ne semble disposé à s’interposer entre le dragon et ses objectifs.

Territoire depuis toujours dépouillé de ses ressources, l’Afrique semble une fois de plus condamnée à n’être qu’un terrain de bataille. Lorsque les Occidentaux s’intéresseront vraiment à leur sort, c’est que le choc des titans pour l’approvisionnement pétrolier sera bel et bien enclenché.

-30-

vendredi, février 02, 2007

Des photos ! En voulez-vous ? En vlà !

J'ai finalement réussi à mettre mes photos sur le web. Vous pouvez les regarder ici :

http://www.flickr.com/photos/19355016@N00/

dimanche, décembre 10, 2006

Le début de la fin pour le traité de non-prolifération nucléaire ?

Pour subvenir à leurs besoins énergétiques, des pays au développement rapide comme l’Inde et la Chine se tournent vers le potentiel atomique et d’autres voudraient bien les imiter. La communauté internationale devra trouver une alternative au Traité de non-prolifération nucléaire, depuis longtemps contourné par plusieurs pays, pour éviter une nouvelle course à l’armement. En acceptant de nouveaux joueurs dans la cour des grands, c’est toute la légitimité du traité qui se voit entachée.

Par Evelyne Asselin

(QC) – Le Pakistan a réussi, vendredi midi, un test de son nouveau missile nucléaire à courte portée Hatf III, à peine quelques heures après l’adoption par le Congrès américain d’un accord de coopération qui permettra à l’Inde de développer son industrie nucléaire à des fins civiles.

Islamabad voit d’un mauvais œil ce rapprochement entre Washington et son rival indien avec qui il a croisé le fer à trois reprises depuis leur indépendance respective de l’empire britannique. Les deux pays d’Asie centrale possèdent l’arme nucléaire sans avoir ratifié le Traité de non-prolifération du nucléaire (TNP).

L’accord américano-indien permettra aux entreprises américaines d’accéder à un marché lucratif, d’une valeur de 100 milliards de dollars selon les estimations du International Herald Tribune. Plus important, il ouvrira aussi à l’Inde les portes du Groupe des fournisseurs du nucléaire, donc l’accès à un uranium jusqu’ici réservé aux pays signataire du TNP.

L’ouverture des États-Unis à traiter avec un pays qui s’est doté de l’arme nucléaire de façon illégale, aux yeux de la communauté internationale, pourrait envoyer un signal non désiré aux autres pays qui désirent se doter d’une industrie nucléaire civile comme l’Afrique du Sud, le Brésil ou l’Arabie Saoudite.

Si les faiblesses du TNP étaient connues, mais rarement évoquées, son incapacité à empêcher la prolifération du nucléaire pourrait bien mettre à jour sa désuétude et l’envoyer aux oubliettes. Signé en 1967 par la Chine, la France, la Russie, les États-Unis et la Grande-Bretagne, le traité devait assurer que seuls ces cinq pays possèderaient l’arme nucléaire. Alors qu’Israël, l’Inde et le Pakistan l’ont déjà acquise, que la Corée du Nord y serait aussi parvenue et que les sanctions contre l’Iran se font toujours attendre, qui aura l’autorité nécessaire pour éviter que d’autres pays emboîtent le pas?

Pour Laurent Zecchini, journaliste au quotidien français Le Monde, « il est illusoire de penser que le statu quo actuel, fondé sur un régime international de non-prolifération à bout de souffle, puisse être maintenu. »

Maintenant que la frontière est franchie et que les États-Unis reconnaissent le potentiel nucléaire de l’Inde, mais aussi d’Israël lors d’une récente déclaration du nouveau secrétaire de la défense Robert Gates, mettant fin à des décennies de flou diplomatique, quelle loi divise l’accès ou non au nucléaire? Si la règle de la sécurité internationale ne tient plus, qui peut interdire à un pays de développer son industrie atomique au nom de ses besoins énergétiques, domaine capital des relations internationales avec la flambée des prix des combustibles fossiles?

Pourquoi l’Inde obtient-elle le support américain pour son industrie alors que l’Iran est confronté à une résolution de l’ONU pour cesser le développement de la sienne? L’accord américano-indien n’exige la présence d’enquêteurs de l’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) que pour les 14 réacteurs destinés à l’usage civil. New Delhi possède aussi huit réacteurs à usage militaire au su de tous, réacteurs qu’aucun membre de l’agence n’a eu et n’aura le loisir de visiter.

La règle des deux poids, deux mesures n’a jamais fait ses preuves et il ne serait pas surprenant que dans peu de temps la quantité de pays au potentiel nucléaire double ou triple. Depuis l’adoption du TNP, ce nombre est déjà passé de 5 à 8, voire à 10 avec la Corée du Nord et l’Iran.


-30-

vendredi, décembre 08, 2006

Le coton en sept histoires

Grand voyageur, l’académicien Érik Orsenna nous sert un portrait imagé de la mondialisation dans son roman Voyage aux pays du coton, petit précis de mondialisation. À travers la route du coton, qu’il suit de l’Afrique à ses Vosges natales, il vulgarise l’état d’interdépendance qui nous unit aux matières premières. Bienvenue dans le monde de l’or blanc.

(QC) — L’industrie du textile et des vêtements au Québec vit une période difficile depuis quelques années. La délocalisation des usines vers des mains d’œuvres moins coûteuses en Chine et en Inde a provoqué la perte de près de 22 750 emplois dans la Belle province depuis 2002, selon les chiffres du ministère des Finances.

Si les médias et la population québécoise ont rapidement jeté le blâme sur la concurrence déloyale des deux géants asiatiques, bien peu de gens connaissent toutes les ramifications de l’industrie du textile. Le livre d’Érik Orsenna est en quelque sorte un cours de coton 101 pour ceux qui s’intéressent aux causes extérieures de la chute de l’industrie au Québec.

Arbuste aux flocons blancs, al-kutun, de son nom d’origine arabe, apprécie les climats chauds et ensoleillés. Il fleurit uniquement entre le 32e et le 37e parallèle dans plus de 90 pays. Comme l’indique Orsenna, il est aussi en quelque sorte « le porc de la botanique ». Tout est utilisé dans cet arbre. Le coton ne sert pas uniquement à fabriquer vos chaussettes, il s’intègre aussi dans la confection de vos billets de banque, de certains produits cosmétiques, même dans la litière de votre chat et dans votre huile végétale. Voilà pourquoi il jouit d’une attention particulière depuis le quatrième siècle avant Jésus-Christ.

L’aventure de l’auteur commence en Afrique, plus spécifiquement au Mali où le coton est connu sous le nom de Soy, terme aussi utilisé pour signifier la parole. Ici, l’activité de la culture demeure à son état plus traditionnel et familial, mais sous l’administration étatique de la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT). C’est donc l’État qui fixe les prix, les exportations et la redistribution de l’argent amassé par l’exploitation des flocons blancs.

Malgré les pressions du Fond monétaire international, la CMDT prend son temps pour privatiser l’industrie et continue de financer la majeure partie des services publics maliens. Malheureusement, l’ancien royaume africain éprouve beaucoup de difficultés à demeurer compétitif et accentue le déficit du pays. La Banque mondiale veut bien aider, à la condition de tout privatiser.

Les États-Unis ne sont pas étrangers aux difficultés maliennes. En plus d’héberger les institutions qui pressent le pays africain de privatiser, ils modifient les règles du cours en Bourse de l’or blanc en subventionnant leur industrie cotonnière et la recherche. Face au géant américain, les Africains peinent à tirer leur épingle du jeu. Ils n’ont surtout pas les moyens d’améliorer leur produit et les techniques de récolte.

Paradis de l’idéologie libérale, le lobby agricole américain croit tout de même qu’il est normal d’aider l’industrie. Tant qu’il existera des subventions de toutes sortes à l’étranger, en Europe et en Asie par exemple, l’oncle Sam continuera de rejeter les condamnations de l’Organisation mondiale du commerce. Pourtant, les aides gouvernementales rejoignent peu les petits agriculteurs, souvent obligés de cumuler deux emplois pour clore leur budget. Ce sont les grosses compagnies, établies depuis l’époque de l’esclavagisme, qui dominent ce secteur d’activité.

La récolte du coton n’a pas que des répercussions économiques, elle joue aussi un important rôle environnemental. Les États-Unis ne sont pas les seuls à créer des souches hybrides de coton en laboratoire, le Brésil effectue aussi beaucoup de recherche économique pour développer un coton unique, croisé par exemple avec des gènes d’araignées.

Les fermes brésiliennes s’étendent sur plusieurs milliards d’hectares et pour fournir la fibre qui servira à habiller une bonne partie de l’humanité, le pays défriche sans retenue la forêt amazonienne, véritable poumon de la planète.

Le coton s’attaque aussi à l’eau. En Ouzbékistan, les petits arbustes sont particulièrement fervents d’humidité et ils ont fortement contribué à la disparition de la mer d’Aral. Dans cette ancienne région de l’Union soviétique, le coton a aussi servi à la cause communiste. Pour sédentariser le peuple Karakalpaks, Staline les a contraints à la culture. L’objectif politique fut réussi, au détriment de l’environnement ouzbek.

Et la Chine certains diront; elle est où la Chine? Au pays de Mao, la chaussette règne en maître, bien avant la culture. C’est la transformation du coton qui fait des ravages ici. Fort de son régime communiste, le gouvernement procède à l’industrialisation du dragon à vitesse grand V. Larguée lors de la révolution industrielle, la Chine est déterminée à reprendre une place dominante sur la scène internationale, peu importe les conséquences humaines et environnementales.

En 280 pages, Érik Orsenna nous prouve que le coton n’est pas blanc comme neige, mais souillé de mille et une batailles. S’il nous reste une impression indélébile de pénétrer un monde secret et sombre, l’auteur n’arrive pas à brosser un portrait clair de la géopolitique du coton. En structurant son récit d’un ensemble d’anecdotes, de portraits et de contes, il oublie de prendre du recul et de regarder l’histoire dans son ensemble.

Une conclusion bien brève tente de donner une trame au récit. Comme c’est bien souvent le cas en journalisme, ces parcelles de réalité n’arrivent pas à nous fournir une idée claire de la réalité de la mondialisation du coton.

Un livre qui fait voyager et où le coton devient presque humain, mais qui offre bien plus un photo-roman qu’un film de la mondialisation.

-30-