dimanche, février 11, 2007

DES RÉPERCUSSIONS MÊME AU QUÉBEC

Lorsque Daniel Charlebois a acheté le commerce de son père en 1975, il existait quatre détaillants pétroliers à Melocheville, un petit village de 3 000 habitants. Aujourd’hui, seul son garage Esso a survécu à la guerre des prix de l’essence de 1996. Malgré une hausse de 300 % de son achalandage, le commerçant a été contraint pour subsister de transformer son centre de mécanique en dépanneur. Jadis source de profit, l’essence n’est plus qu’un service pour attirer des clients dans son commerce où les pingouins gonflables et les pintes de lait côtoient les litres d’huile à moteur.

Par Evelyne Asselin

(Mtl) — « Vous savez Esso et les autres grandes pétrolières, c’est du pauvre monde, ils font pitié. Ils n’ont fait que quelques milliards de profits l’an dernier », lance avec sarcasme le propriétaire du garage Charlebois.

Le commerce situé aux abords de la route 132 a toujours été affilié à une grande pétrolière. À sa construction en 1955, il portait la bannière McCall-Frontenac, achetée quelques années plus tard par Texaco, puis par Esso en 1991.

« Être avec une compagnie majeure comporte plusieurs avantages. Esso m’apporte surtout une clientèle établie par son réseau de cartes de crédit et un système publicitaire que je ne pourrais me payer en tant qu’indépendant », indique M. Charlebois.

Ces deux phrases sont pourtant les seules marques d’enthousiasme que démontre le propriétaire envers sa maison-mère. Depuis une dizaine d’années, les gains ne sont plus au rendez-vous. La vente d’essence n’apporte qu’un à deux sous de profit du litre, ce qui s’avère insuffisant pour payer les frais d’exploitation.

C’est que les majeures comme Esso et Shell tirent leurs bénéfices du raffinage et non de la distribution. Ils imposent donc des tarifs à la limite des prix plancher fixés par le gouvernement du Québec, selon une loi pour contrer les guerres de prix, fixée en décembre 1996. Ces tarifs permettent aux détaillants de subsister, mais surtout d’attirer un plus grand nombre de consommateurs. Plus il y a d’essence vendue, plus les grandes compagnies font des profits de raffinage.

« Les majeures contrôlent le marché. Même les indépendants doivent s’approvisionner à leurs raffineries. Ça revient toujours à la même situation et les majeures le savent. Nous n’avons aucun contrôle et il est impossible de contourner le système », déplore le commerçant.

Pourtant, selon la directrice de l’Association québécoise des indépendants du pétrole (AQUIP) Sonia Marcotte, il est bel et bien possible de contourner le système des majeures au Québec en s’approvisionnant chez deux importateurs indépendants, Norcan et Olco. Les deux compagnies se ravitaillent par bateau à des raffineries de la mer du Nord et des Caraïbes.

« Sans ces deux importateurs, les raffineries du Québec pourraient imposer 2,5 sous supplémentaires du litre d’essence, soit le coût moyen de transport pour s’approvisionner par camion ailleurs que chez les raffineries de Montréal », explique madame Marcotte.

Mince espoir par contre, puisque Norcan et Olco sont forcés d’exiger des tarifs semblables à ceux des grandes pétrolières. Toutes les transactions des produits raffinés sont liées à la Bourse de New York, réduisant les marges de profit supplémentaire à quelques dixièmes de sou. Cela explique certainement qu’à peine 5 % des détaillants québécois font affaire avec les deux importateurs.

Malgré les doléances de Sonia Marcotte pour un secteur indépendant fort afin contraindre les grandes pétrolières à réduire leurs prix de vente de l’essence raffinée, Daniel Charlebois continuera de faire affaire avec Esso, faute d’alternatives valables.

Avec l’arrivée sur le marché de la vente au détail d’essence de joueurs comme Costco et Couche-Tard, la compétition est de plus en plus féroce au Québec et M. Charlebois croit que seule sa bannière lui permettra d’attirer des clients. Le jeu de l’indépendance est trop risqué.

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