vendredi, décembre 08, 2006

Le coton en sept histoires

Grand voyageur, l’académicien Érik Orsenna nous sert un portrait imagé de la mondialisation dans son roman Voyage aux pays du coton, petit précis de mondialisation. À travers la route du coton, qu’il suit de l’Afrique à ses Vosges natales, il vulgarise l’état d’interdépendance qui nous unit aux matières premières. Bienvenue dans le monde de l’or blanc.

(QC) — L’industrie du textile et des vêtements au Québec vit une période difficile depuis quelques années. La délocalisation des usines vers des mains d’œuvres moins coûteuses en Chine et en Inde a provoqué la perte de près de 22 750 emplois dans la Belle province depuis 2002, selon les chiffres du ministère des Finances.

Si les médias et la population québécoise ont rapidement jeté le blâme sur la concurrence déloyale des deux géants asiatiques, bien peu de gens connaissent toutes les ramifications de l’industrie du textile. Le livre d’Érik Orsenna est en quelque sorte un cours de coton 101 pour ceux qui s’intéressent aux causes extérieures de la chute de l’industrie au Québec.

Arbuste aux flocons blancs, al-kutun, de son nom d’origine arabe, apprécie les climats chauds et ensoleillés. Il fleurit uniquement entre le 32e et le 37e parallèle dans plus de 90 pays. Comme l’indique Orsenna, il est aussi en quelque sorte « le porc de la botanique ». Tout est utilisé dans cet arbre. Le coton ne sert pas uniquement à fabriquer vos chaussettes, il s’intègre aussi dans la confection de vos billets de banque, de certains produits cosmétiques, même dans la litière de votre chat et dans votre huile végétale. Voilà pourquoi il jouit d’une attention particulière depuis le quatrième siècle avant Jésus-Christ.

L’aventure de l’auteur commence en Afrique, plus spécifiquement au Mali où le coton est connu sous le nom de Soy, terme aussi utilisé pour signifier la parole. Ici, l’activité de la culture demeure à son état plus traditionnel et familial, mais sous l’administration étatique de la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT). C’est donc l’État qui fixe les prix, les exportations et la redistribution de l’argent amassé par l’exploitation des flocons blancs.

Malgré les pressions du Fond monétaire international, la CMDT prend son temps pour privatiser l’industrie et continue de financer la majeure partie des services publics maliens. Malheureusement, l’ancien royaume africain éprouve beaucoup de difficultés à demeurer compétitif et accentue le déficit du pays. La Banque mondiale veut bien aider, à la condition de tout privatiser.

Les États-Unis ne sont pas étrangers aux difficultés maliennes. En plus d’héberger les institutions qui pressent le pays africain de privatiser, ils modifient les règles du cours en Bourse de l’or blanc en subventionnant leur industrie cotonnière et la recherche. Face au géant américain, les Africains peinent à tirer leur épingle du jeu. Ils n’ont surtout pas les moyens d’améliorer leur produit et les techniques de récolte.

Paradis de l’idéologie libérale, le lobby agricole américain croit tout de même qu’il est normal d’aider l’industrie. Tant qu’il existera des subventions de toutes sortes à l’étranger, en Europe et en Asie par exemple, l’oncle Sam continuera de rejeter les condamnations de l’Organisation mondiale du commerce. Pourtant, les aides gouvernementales rejoignent peu les petits agriculteurs, souvent obligés de cumuler deux emplois pour clore leur budget. Ce sont les grosses compagnies, établies depuis l’époque de l’esclavagisme, qui dominent ce secteur d’activité.

La récolte du coton n’a pas que des répercussions économiques, elle joue aussi un important rôle environnemental. Les États-Unis ne sont pas les seuls à créer des souches hybrides de coton en laboratoire, le Brésil effectue aussi beaucoup de recherche économique pour développer un coton unique, croisé par exemple avec des gènes d’araignées.

Les fermes brésiliennes s’étendent sur plusieurs milliards d’hectares et pour fournir la fibre qui servira à habiller une bonne partie de l’humanité, le pays défriche sans retenue la forêt amazonienne, véritable poumon de la planète.

Le coton s’attaque aussi à l’eau. En Ouzbékistan, les petits arbustes sont particulièrement fervents d’humidité et ils ont fortement contribué à la disparition de la mer d’Aral. Dans cette ancienne région de l’Union soviétique, le coton a aussi servi à la cause communiste. Pour sédentariser le peuple Karakalpaks, Staline les a contraints à la culture. L’objectif politique fut réussi, au détriment de l’environnement ouzbek.

Et la Chine certains diront; elle est où la Chine? Au pays de Mao, la chaussette règne en maître, bien avant la culture. C’est la transformation du coton qui fait des ravages ici. Fort de son régime communiste, le gouvernement procède à l’industrialisation du dragon à vitesse grand V. Larguée lors de la révolution industrielle, la Chine est déterminée à reprendre une place dominante sur la scène internationale, peu importe les conséquences humaines et environnementales.

En 280 pages, Érik Orsenna nous prouve que le coton n’est pas blanc comme neige, mais souillé de mille et une batailles. S’il nous reste une impression indélébile de pénétrer un monde secret et sombre, l’auteur n’arrive pas à brosser un portrait clair de la géopolitique du coton. En structurant son récit d’un ensemble d’anecdotes, de portraits et de contes, il oublie de prendre du recul et de regarder l’histoire dans son ensemble.

Une conclusion bien brève tente de donner une trame au récit. Comme c’est bien souvent le cas en journalisme, ces parcelles de réalité n’arrivent pas à nous fournir une idée claire de la réalité de la mondialisation du coton.

Un livre qui fait voyager et où le coton devient presque humain, mais qui offre bien plus un photo-roman qu’un film de la mondialisation.

-30-

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